jeudi 5 août 2010

Love @ (presque) first sight


Je suis née aux Etats-Unis, mais je ne les ai jamais vus… Mon rêve américain est bien loin. Il paraît pourtant que le destin d’une guitare folk est de parcourir la route 66, de faire gigoter les bottes des femmes crescendo en dessous des tables jusqu’à ce que les vibrations leur montent aux genoux et qu’elles se lèvent d’un bond pour exhiber leurs jupons. Il paraît aussi que j’aurais le pouvoir de faire pleurer les hommes et de les attirer dans les miens. Enfin, façon de parler. C’est ce que disaient les autres guitares, celles de la boutique. A longueur de journée elles minaudaient dans leur rack, comme des petits chiots dans un magasin pour qu’on les adopte. Je n’en pouvais plus de voir leurs cordes s’exhiber du matin au soir et prétendre qu’une grande carrière les attendait. Et vas-y que je me la raconte avec mon petit son vintage, mon acoustique incroyable ou mes illustres ancêtres. Moi je porte un nom inconnu au bataillon : Breedlove. C’est joli, ça sonne bien fifille, je crois que ça me ressemble. Ma marque a été créée par un fondateur de Taylor, ce qui est censé me fournir un sérieux pédigrée. Mais bon, personne n’est vraiment au courant. Sauf le vendeur du magasin qui m’a-do-rait (à moins que ce n’ai été l’inverse tant il avait l’air pressé de se débarrasser de moi). Il me posait sur les bras de chaque personne qui franchissait la porte et je devais me laisser faire sans broncher par des mains baguées et tatouées qui me claquaient comme un tambourin, des doigts de geek transpirants et tremblotants à l’idée de jouer devant le seul public du magasin, ou des guitar-heroes qui me faisaient vibrer puis me reposaient sans ménagement… J’ai bien cru que ma vie se résumerait à cette succession d’essais infructueux.

Jusqu’au jour où elle est arrivée. Une jeune femme brune, qui parlait fort et riait encore plus fort. Elle a essayé plusieurs guitares : une minuscule beaucoup trop fashion pour être sincère, une grosse caisse noire, soi-disant la même qu’une chanteuse connue dont je n’avais jamais entendu parler. Et puis soudain, elle s’est décidée à m’essayer. Une chance. Je n’avais qu’une chance pour la convaincre de m’embarquer avec elle. J’ai tout donné – aidée qui plus est par le laïus du vendeur sur mes performances exceptionnelles. Je ne suis pas connue, pas utilisée par je ne sais quelle star de la folk, mais je suis pleine de bonne volonté, toute douce avec mon bois satiné, et en toute modestie, je suis bonne. Ben ouais les filles, il faut se le dire parfois. Et au bout de ses doigts, naissait pour moi l’espoir d’enfin aller au-delà de ces rayons croulant sous la concurrence… Elle m’aimait bien je le sentais, et pourtant, elle hésitait. Pas le genre de fille à se mettre la corde au cou sans réfléchir, à s’engager à la légère. Elle jouait d’ailleurs beaucoup plus timidement qu’elle ne parlait. M’effleurait seulement. J’avais envie de lui dire « allez, vas-y, branche moi, secoue-moi, fais-moi mal… ». Rien à faire, elle n’osait pas. Je sentais bien qu’elle n’était pas très expérimentée, mais avec elle, je me sentais l’âme initiatrice. J’avais envie de la guider dans ses aventures musicales, et j’espérais qu’elle me guiderait tout court. Je suis une exploratrice. Pas question de rester posée dans un joli studio sans broncher. Je veux des marques d’usure, des cicatrices de voyage. Je pense qu’elle l’a senti puisqu’après deux jours qui m’ont paru éternels, elle est enfin revenue. Elle m’a prise sous son (ès) aile et m’a fait faire le grand saut. Pigalle. Waou. Ca grouille, ça pue, c’est plein de touristes. Il y en a même un qui nous a demandé une photo parce qu’on avait l’air «so french». Quelle idée aussi de porter un béret aux abords de Montmartre. Je sens que je vais devoir faire quelques mises au point avec ma nouvelle acolyte. Parce que moi j’ai du goût, de la classe, de l’élégance, de la discrétion… et une sangle en moumoute rose. La fautive s’appelle Marine Goodmorning. Enfin, c’est ce qu’elle prétend. Elle chante depuis longtemps, mais commence tout juste à gratouiller des bouts de bois dans mon genre. Elle a de grandes ambitions, veut composer avec moi et jouer à deux alors qu’avant elle ne pouvait se déplacer sans un troupeau de beaux musiciens collé à ses ballerines. Soit, je ferai de mon mieux. J’ai déjà fait de mon mieux en fait, puisque voici six mois que nous vivons ensemble. 

Nous avons déjà fait des petites scènes, des clips et elle m’a même emmené dans le métro. Pour moi, ça c’était pour les clodos. Et la voilà qui se trémousse entre deux correspondances sur talons de douze… So naïve cette fille parfois. J’illustre : Premier jour sous terrain, on jouait depuis 5 minutes quand un musicien s’est posté devant nous. Marine enflammée lui a chanté Forever 24 heures les yeux dans les yeux, trop heureuse de se sentir écoutée. A la fin du morceau, l’intéressé se contente d’une phrase : «J’ai la carte». LA carte, c’est le sésame que te donne la Ratp pour avoir le droit de jouer dans ses couloirs (parce que, oui monsieur, c’est élitiste, je dirais même que c’est la marche juste avant l’Olympia, enfin… ça c’est surtout elle qui le dit - ). Peu importe ELLE lui rétorque que NOUS aussi nous avons LA carte. Ce à quoi il répond «oui, mais moi je viens ici depuis 10 ans». Ahhh. Nous y voilà. En fait, le type nous fait une réplique de Marche à l’ombre. Il veut juste qu’on dégage. Il le dit gentiment, puisque Marine est une femme, mais il précise que, justement parce qu’elle est une femme, c’est injuste. Qu’elle va lui piquer tout le quota de succès de la station. On décide d’un commun accord (même si elle était plus d’accord que moi, comme dirait notre ami Grand Corps Malade) de nous tirer de là et d’aller faire nos gammes ailleurs. A la maison quoi, bien sagement. Pour préparer notre premier voyage de l’été : Berlin… Waou, ça c’est cool, punk, underground. C’est LA ville qu’il nous faut. Je me pare de cordes Elixir pour l’occasion. Je suis canon. Ich bin canon. Et nous nous envolons…



Une de nos premières vidéos à deux. Sur un thème que je n'approuve pas du tout, si elle me ment je me casse (en deux sur une scène, comme à la grande époque;).

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