J’avais un peu dramatisé mon séjour à l’hôpital pour guitares cabossées. Un petit resserrage de boulons et un nouveau jeu de cordes plus tard et me revoilà sur pied, prête à m’envoler nach Berlin pour un concert de l’avant. Avant 2011, avant Bercy, avant quoi ? Noël ? Ah oui, j’aurais du m’en douter, tout le monde ne parle que de ça ici (l’obsession semble croître à mesure que l’on avance vers l’est). Pile dans le thème, puisque notre spectacle se tiendra en lieu saint et sûr, sous une chapelle (transformée en théâtre, ce qui permet à la laïque guitare que je suis d’assumer cette plongée en crypte profonde).
Pour l’heure, ledit concert semble être le cadet des soucis de Marine. Elle engloutit des Würste et des Kartoffeln (Deutsches Buch page 26), applaudit un opéra de Stravinsky mis en scène façon néo-punk (néo est un terme à la mode - comme la chasteté - dont nous vous reparlerons). Elle tournicote dans des bals avec quelqu’un qui s’emmêle autant les semelles qu’elle (mais qui lui offre des Würste, ce qui est déjà un grand pas) et boit du Jägermeister* à avoir une haleine de bain de bouche.
*(une astérisque en haut de page a pour but de vous épargner un scroll) Le Jägermeister, Maître chasseur en allemand, est une liqueur à base de plantes médicinales titrant 35°GL.
[Pendant ce temps, je gis, seule, abandonnée dans un appartement]
Marine se souvient seulement de moi le jour J. Mieux vaut tard que jamais dit-on, mais je n’aurais jamais imaginé que son réveil sonne aussi tard. Voilà donc qu’en une journée - entamée dans l’après-midi, ne me demandez pas ce qu’elle a fait la veille – nous devons élaborer tout un répertoire. Le programmateur aimerait que nous interprétions une chanson en allemand, jamais entendue avant cela va de soi. Une histoire de roses qui pleuvent, de femme qui veut tout ou rien… Rien à voir avec le néo-romantisme de Marine évidemment.
1,2, 3, 1, 2, 3 c’est une valse. Avec un texte si long que l’apprendre nous fait tourner la tête… comme une valse. Marine achète une petite robe en dentelle beige pour détourner l’attention de ses éventuels trous de mémoire. Tenue tout à fait à propos vu les trente centimètres de neige qui recouvrent les trottoirs.Clopin-clopant en talons, elle me porte sur son dos jusqu’au Theaterkapelle. Après une dernière étape Wurst d’encouragement, nous arrivons pleines d’inspiration et de vitamines (cinq saucisses par jour, non ?). C’est parti pour une heure de concert à deux, avec intermèdes en anglais (ich habe viel vergessen…), chansons en espagnol et en japonais (easy). Néo-set international dont nous excluons néanmoins in-extremis la chanson sur les roses de peur que son interprétation achève de les faire pleuvoir.
Next time, promis, on aura bossé notre allemand, comme un pied de néo mauvaises langues qui pensent que nous avons l’amnésie sélective. Clap clap clap, nous n’oublierons pas en tout cas ce mémorable concert. Ni notre départ de Berlin, dont la magie de noël tient parfois à des petits riens : l’explosion d’un litre de Maître chasseur en salle d’embarquement (à nos pieds on s’entend) diffusant ses effluves à qui veut les sentir, une procession sur piste enneigée pour accéder à un avion dont les ailes se font dégivrer par de petits robots (on n’a pas bu, effet de la cause).
Quitter Berlin nous semble décidément toujours trop tôt.